à ma chère Tante Astridelle
Jamais je ne m'en voudrai assez. Depuis le temps que
je vous parle de ma famille Hadulphe,
l'oncle musicien en premier, j'avais omis,
où ai-je la tête?
l'oncle Phaéton et sa sœur, ma tante-donc Hébé.
Phaéton pourtant, c'est quelqu'un.
Oui, je sais, il est mort depuis pas mal de temps, -
d'accord,
mais sa personnalité, ses bons mots, les anecdotes de son
existence ne cessent de courir de cousin à cousine, de
nièce à neveu.
C'est toujours un bonheur que d'évoquer le Brillant et sa
célébrissime manie de l'ordre, de l'exactitude, au point
que nous, la bande d'insolents neveux, l'avions surnommé
« Onze heures Onze »
nombre dont la parfaite symétrie scripturale n'avait
d'égal que l'absolu rangement des lieux qu'il habitait, que
l'ordre maniaque et méthodique qui accompagnait chaque
déplacement , chaque mouvement, chaque respiration de
Phaéton.
ll était doté d'une solide fortune, acquise par un poste
prestigieux dans …............???...je n'ai jamais su.
Propriétaire de nombre de résidences, il laissait en
chacune, en prévision d'une éventuelle venue impromptue,
l'attirail propre à ses périodes de villégiature, ce qui pour
l'Oncle Phaéton consistait en
* un short type anglais, bien long, bien large
* un polo en piqué pur coton
* une paire d'espadrilles de toile bleu marine, ( basque )
les vêtements sur un de ces valets de bois, au pied du lit,
les sandales de corde soigneusement rangées côte à côte,
au garde-à-vous« Onze heures onze » attendaient le
retour de l'oncle parfois tout le printemps, puis tout l'été
puis l'automne, jamais l'hiver où l'attirail se reposait
jusqu'au printemps suivant.
A sa guise, indépendant, sans épouse et sans
descendance, peu tenu par le reste de la famille, ignorant
les amis, il allait et venait suivant son humeur, et quand
on l'attendait à Deauville, nous apprenions par quelque
cousin ou branche rapportée, qu'il prenait les eaux en
Suisse, ou à Vichy.
Mais si je vous parle de Phaéton, c'est surtout pour avoir
un motif à évoquer Hébé.
Ah!tante Hébé!
Je fis sa connaissance de façon plus que romanesque.
Invitée au mariage d'une mienne cousine, et admirant du
haut de la tribune de l'orgue ( bien sûr, là où se trouve
Hadulphe, je suis...) l'entrée admirable
de Rodaïde au bras d'oncle Adalbert, je repérais dans
l'assistance,une silhouette plus qu'étrange, incroyable.
Une petite chose, d'une rare maigreur, même vue
seulement de haut et de dos,posée sur de petites
et tellement fragiles pattes d'échassier qui dépassaient
de la jupe froufroutante et volantée, soyeuse et fleurie,
une petite tête agitée en tous sens, et chapeautée d'une
extravagante capeline - maison qui, à chaque mouvement,
menaçait d'éborgner les deux messieurs qui encadraient la
silhouette.
( Peut être " Onze heures Onze ", sur sa droite ? )
Une petite voix haut perchée, qui dominait l'ensemble de
l'assistance chantante. Petite, si petite, mais tenant tant
de place...
Le rapide descriptif que j'en fis à Hadulphe, de dos
puisque assis devant ses claviers ne lui laissa aucun doute:
Hébé !
Omniprésente pendant les deux heures de la cérémonie,
la petite chose s'impliqua dans le placement des invités,
participa à la quête, escortant les Âdorables garçonnets
porteurs de panières fleuries, gloussant, s'arrêtant à
chaque rangée, recevant baise main et discrètes
accolades, saluant d'un jeu de doigts rapide
Adalelme,
Mechtilde
Hildegonde,
Austreberthe,
les jumeaux Ursicin et Volusien,
" Dieu, comme ils ont grandi ! "
Pulcelle,
Eudoxie,
" Ma chérie , mais tu es rrââvissante!"
Oh, Phébalde!
et de l'embrasser voracement, toute la foule des parentés
réunies, tandis que Rodaïde, raide sous l'héritage des
sept jupons ancestraux qui sedoivent d'être portés,
superposés, le jour des noces, livide et crispée, montrait
d'évidents signes d'impatience et d'agacement :
Hébé, té!
était encore en train de bouziller la fête, comme elle
l'avait fait aux noces de ses sœurs Aremburge
et Carétène, et ce n'était rien à côté de ce qu'elle nous
réservaitpour la soirée...
Rodaïde n'avait pas tort de craindre le pire mais elle
était loin de soupçonner les tempêtes qu'allait déclencher
tante Hébé.
La cérémonie achevée, (enfin ! ) nous quittâmes l'église
à plus de 18 heures 30 pour rejoindre la propriété des
parents d'Eustaise.
La montée vers les hauteurs au dessus du lac du Bourget,
dans l'antique décapotable d'oncle Hadulphe se passe de
description :
imaginez seulement tonton, heureux d'en avoir fini avec le
pensum de la partie musicale qui lui avait été imposée,
écrasant autant que faire se peut le champignon pour
obtenir un bon 35 km heure.
Ce délicat et fin musicien, obligé de jouer cette pompeuse
marche nuptiale, réduction pour l'orgue d'une œuvre de
Mendelssohn, si belle à l'orchestre , avait réussi, pour la
sortie de la cérémonie, à imposer tout de même aux
tourtereaux incompétents un véritable trésor, une pièce
de musique française de Clérambault,
" Caprice sur les Grands Jeux " qui sonna fort bien lui
sembla-t-il sur l'orgue.
Qui l'entendit ? Qui l'écouta ?
Dans le tonnerre des talons sur les dalles, le brouhaha,
les cris des petits, les éclats de voix d'Hébé qui
montaient jusqu'à la tribune, qui sut savourer les accords
savants et harmonieux de Clérambault…?
Si tous les instruments de musique sont faits pour
les oreilles, seul l'orgue semble conçu pour les pieds :
dès qu'il retentit, l'assistance sort avec fracas.
Hadulphe lui - même, empêtré dans les trois claviers mal
connus, abasourdi par le vacarme confus que produit
l'orgue pour l'interprète, douta de l'effet produit.
Il demanderait tout à l'heure à Aicard, le seul de la
famille qui s'intéressât vraiment à la musique car il ne
pouvait compter sur mon avis : oreilles bourdonnantes de
cloches, dans la confusion totale des sons perçus à la
tribune, toute entière rivée sur la sortie du cortège, je
n'en perdais pas une et n'écoutais rien.
Nous grimpâmes donc vers le domaine : une vaste
demeure du 18°, legs familial depuis des générations, qui
s'ouvrait , en contre bas sur le lac du Bourget et ses
relents lamartiniens.
Face à nous, minuscule au loin et drapée des brumes du
soir,dans la lourde chaleur de cette fin juillet l'abbaye de
Hautecombe.
La pelouse autour de la demeure servait de plateau aux
tables du buffet: blanches immaculées, elles offraient à
nos avides gourmandises de frais délices de saison, des
canapés exquis, des navettes dorées fourrées de foie
gras, les bouteilles d'eau gazeuse et de jus de fruit, par
centaines, nous attendaient pour étancher nos soifs, car
j'ai oublié de vous le signaler, mais ce vendredi - là, nous
connûmes une des pires chaleurs qui soit. Plus de 40
degrés, qui ne procuraient que l' envie de s' abandonner
aux moelleux coussins jetés ça et là sur le gazon, et de se
désaltérer jusqu'à...plus soif.
C'est là qu'Hébé commit sa première gaffe.
Déjà fort excitée, elle accepta le verre de whisky posé
avec d'autres sur le plateau que lui présentait un digne
maître d'hôtel aux gants blancs.
Je vis Hébé saisir l'objet, qui avait été refusé comme
ceux qui l'entouraient par tous qui lui préféraient l'eau
fraîche ou le jus d'orange.
Oui je vis bien, car nous avions élu domicile sous un grand
conifère qui nous apportait un très léger frémissement de
fraîcheur et de notre observatoire un peu en retrait,
toute la parentèle était sous notre garde, et notre
curiosité.
Rodaïde entamait le tour des invités,toujours emprisonnée
de ses fichus jupons, Eustaise légèrement en retrait,
laissait son épouse toute neuve prendre les devants.
Présentation des uns aux autres, rires en cascades,
comme s'il y avait de quoi rire, mais soyons gais, marions-
nous...
La mère d'Eustaise, dignement chapeautée d'un bibi
mauve à voilette, daigna enfin déposer son couvre chef un
peu au hasard, sur un coussin.
Oncle Hadulphe était gai et volubile ce soir-là, oh ! pas à
cause des noces d'Eustaise et de Rodaïde, dont il se
moquait comme de ses premières gammes, mais de passer
ce moment avec nous, qui étions, je crois bien, ses neveux
préférés.
Aicard surnommé je ne sais pourquoi, "Le Grand", lui
donna son point d'oreille sur la sortie qu'il avait jouée,
« fort bien,très en place, belle registration »
et Hadulphe ne put s'empêcher de savourer l'avis
pertinent de son sien neveu.
C'est à cet instant précis qu'Hébé fondit sur nous :
« Hadulphe mon cher, vous fûtes génial! »
Le verre vide à la main, elle secouait sa capeline plus que
jamais, et les boucles poivre et sel de son chignon, comme
saupoudrées de poussière ancestrale échappaient à
l'ordonnance de la coiffure, et commençaient à menacer
ruine sur sa nuque.
Un plateau passa à portée, elle déposa son verre vide et
se saisit d'un plein dont elle avala le contenu si
rapidement qu'elle eut le temps, avant même que le
porteur de plateau ne tournât les talons, de reproduire la
manœuvre, et vida dans l'instant son troisième verre de
bourbon.
Personne ne bougea et surtout pas Hadulphe qui m'avait
dit à la tribune, que depuis bien longtemps il se
désolidarisait des agissements de sa belle – sœur, veuve
de son défunt frère Albéron.
C'était la première fois que je voyais ma tante;
elle vivait au nord de la Belgique et ne venait guère se
joindre à notre tribu qu'en cas de mariage
« à la hauteur »
Celui d'Eustaise et de Rodaïde correspondait à ses
critères : je découvris donc tante Hébé, mais déjà
sérieusement éméchée.
La voix se faisait encore plus perchée, plus acide, les
pattes d'échassier plus maigres et plus graciles,
semblaient tout à coup incapables de supporter plus
longtemps la charge pourtant si légère du corps d'Hébé.
Et ce qui devait arriver, arriva.
Elle s'écroula, fessier en tête, sur un coussin à portée
de céans. Je n'eus que le temps de voir disparaître le bibi
à voilette sous la jupe fleurie.
Fin de l'épisode.
Effondrée, saoule comme trente six grives, Hébé
réclamait à boire, sur un ton qui d'impératif et strident
devenait comminatoire .
Au milieu de cette assistance policée, calme et mesurée,
sous les accords douteux des cordes , - violon, alto,
violoncelle - que nous donnait à entendre depuis un balcon
un groupe d'enfants, cousins sans doute, dans toute cette
ordonnance bien huilée, contrôlée, Hébé entamait le
numéro de sa vie.
Il serait temps de vous révéler un secret :
tante Hébé
et bien, elle ne fut jamais ma tante.
Au sein de notre tribu, tout ce qui est cousin, germain,
éloigné, à la mode de Bretagne, branche rapportée ou
rapporteuse, tout cela va droit dans le même sac familial,
celui réservé aux appellations d'origine contrôlée
« oncles et tantes ».
Ainsi, n'allez surtout pas imaginer mes dignes géniteurs
affublés de douze ou quinze frères et sœurs : si les
familles nombreuses sont bien vues par chez nous, le
nombre de procréés ne dépasse que rarement le sixième.
C'est à cet instant précis de mes cogitations que
justement Sixtine, pas la Chapellemais ma petite dernière
cousine du côté de Gontrade, pas encore couchée malgré
l'heure fort avancée, vint délicatement vomir sa neuvième
navette au foie gras sur les pieds de Tante Hébé.
La brave femme, effondrée, comme je crois vous l'avoir
narré, après l'ingestion de son troisième Bourbon, la
capeline en bataille, la jupe allègrement remontée sur ses
graciles cagnettes, n'eut pas le temps de bondir . Le jet
sixtinien s'amollit sur les petons de tantine.
Le hurlement qu'alors poussa cette dernière reste
aujourd'hui encore, vingt-six ans plus tard dans la
mémoire de tous les Savoyards qui crurent revenu le
temps des Grandes Invasions Barbares.
Hébé hurlait, Sixtine braillait, et pour parfaire son
œuvre, la gamine, de ses doigts artistes, tartinait le vomi
aussi délicatement qu'elle l' avait régurgité.
Gontrade arriva ventre à terre, confuse et se répandant
en excuses auprès d'une Hébé hystérique.
Un malheureux maître d'hôtel voulut relever ma tante :
elle s'accrocha à lui, crut à la verticalité mais perdit
l'équilibre, entraînant le cher homme dans sa descente
aux enfers. Hébé chutait pour la deuxième fois.
Un roulé boulé de classe sur la pelouse, la tribu partagée
entre fou rire et indignation,
Rodaïde, verte, les mâchoires tellement crispées qu'on
aurait dit ses deux maxillaires soudés pour le restant de
ses jours, Eustaise, tachant maladroitement de séparer
les deux corps imbriqués par la chute,
Hébé accrochée aux basques du pauvre maître d'hôtel,
vociférant, pis, éructant...Je vous laisse imaginer.
La mère d'Eustaise, départie à tout jamais de son bibi à
voilette, ne trouva rien de mieux, pour distraire
l'atmosphère que de relancer le groupe des cordes figé
sur son balcon : un flot d'accords maladroits et
disgracieux nous tomba sur les épaules, et nous en
courbâmes tous la tête sous le poids de l'infamie musicale.
C'est alors qu'Hébé soudainement dégrisée, leva vers le
balcon un doigt sentencieux:
« Vous les morpions du violon, au lit ! Ça suffit,
qu'est ce qui m'a fichu des zozos pareils?
Hadulphe ? Hadulphe ? Mon cher,
ne pouvez-vous pas leur claquer le bec à ces inaptes? »
Eustaise tenta d'intervenir.
« Oh toi, ça va, hein, même pas capable de t'imposer
auprès de ta bonne femme, tu ne vas me donner des
leçons, et quand tu couchais avec elle pendant votre
retraite spirituelle à Lourdes chez les Bons Pères, tu
jouais à cache cache avec C .. mais n'empêche qu'elle t'a
vu entrer dans la cellule de Rod, et qu'elle a tout entendu
et qu'elle a tout raconté et que vous n' êtes qu'un belle
bande de faux jetons.
Mon cher Albéron avait bien raison , vous ne valez pas
tripette.
Je suis venue, j'ai vu, je pars, sans me retourner. »
Elle tenta malgré tout un demi tour devant la famille et
les amis éberlués, raides de dignité outragée , mais elle
se prit les pieds dans rien et s'affala à nouveau, nez
contre terre.
Alors s'éleva la tragique et terrible plainte de Rodaïde,
dont les noces qui s'annonçaient dignes et grandioses
viraient au cataclysme, un long sanglot dont on devinait
qu'il accompagnerait la vie entière du nouveau ménage.
Hébé se releva seule, ignorée à tout jamais de la famille.
Ignorée ? Vraiment? …
...Je vis alors Hadulphe, mon cher Oncle Hadulphe se
diriger vers elle, sa belle sœur mal comprise, mal aimée
voire méprisée par lui depuis tant d'années.
Soudain, il sentait un impérieux besoin de l'approcher, de
la soutenir, de l'accompagner, il se sentait si proche
d'elle.
Il jeta un œil de rogne longuement contenue vers le balcon
et les marmousets qui avaient cessé leurs outrages, il jeta
un second coup d' œil élargi, circulaire vers la tribu
hébétée, tendit la main vers Hébé, d'un geste si
rassurant, si engageant, qu'elle ne put qu'y céder.
Il baisa respectueusement la petite main si maigre et si
fripée, remit un peu d'ordre dans la chevelure anarchique,
et là, devant toute cette noble assemblée, attira la vieille
dame jusqu'à lui pour le plus spectaculaire baiser auquel il
nous fut jamais donné d'assister.
Puis, sans un regard pour le reste du monde qui semblait
avoir disparu, Hadulphe et Hébé quittèrent la scène de ce
théâtre, pour un dernier acte que nous ne pûmes
qu'inventer, fantasque et gai, fou et farfelu, à leur
image, et pour longtemps dans nos mémoires, bien plus
grandiose que les pâles noces d'Eustaise et Rodaïde.
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L'été , saison des mariages
*
*
*
Ils y vont, gais et joyeux
dans le grand bleu de ce bel été,
ils y vont, la joie et l'espérance au cœur.
Qui n'a pas de mariage à l'horizon
de sa famille ou de ses amis ?
Mendelssohn va chauffer...
Et souvenez vous que La Marche Nuptiale,
si souvent entendue, rebattue, lors des cérémonies
Mendelssohn la composa non sans malice,
pour le mariage d'un âne,
dans "Le songe d'une nuit d'été"
parodie gratinée élue par des futurs mariés
qui n'en savent rien.
Choisissez mieux, les petits...
Et par pitié, évitez les musiques en CD;
si vous demandez à l'Eglise de recevoir le sacrement
de mariage,
souvenez-vous que dans les paroisses officient
des organistes liturgiques prêts à vous proposer un
programme digne de votre cérémonie.
Pourquoi pas la fantaisie et fugue de JS Bach
pour une entrée empreinte de grave solennité ?
et une majestueuse sortie avec Dietrich Buxtehude
Te Deum Laudamus BxVW 218
à bon entendeur, salut !
Les appareils photos aussi vont chauffer
Que sonnent les cloches à toute volée :
les petits personnages en haut du gâteau
figés dans la chantilly et la meringue,
leur feront croire, encore un peu à
l'éternité de l'amour.
Beau mariage et soyez heureux.
Faites des enfants,
beaux , intelligents, de préférence,
et passez la barre des 2 ans, des 5 ans,
10, 12,
des 20 ans ,
si vous le pouvez.
Flaubert nous offre une savoureuse description,
parodique et ironique comme il aime à le faire
du repas de noces de Charles et Emma Bovary.
« C'était sous le hangar de la charretterie que la table
était dressée. Il y avait dessus quatre aloyaux, six
fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois
gigots et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de
quatre andouilles à l'oseille.
Aux angles, se dressait l'eau-de-vie, dans des carafes.
Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse
autour des bouchons et tous les verres, d'avance,
avaient été remplis de vin jusqu'au bord.
De grands plats de crème jaune, qui flottaient d'eux-
mêmes au moindre choc de table, présentaient, dessinés
sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en
arabesques de non pareille.
On avait été chercher un pâtissier à Yvetot
pour les tourtes et les nougats.
Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les
choses ;
et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée
qui fit pousser des cris.
À la base, d'abord c'était un carré de carton bleu
figurant un temple avec portiques, colonnades et
statuettes de stuc tout autour dans des niches constellées
d'étoiles en papier doré ; puis se tenait au second
étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues
fortifications en angélique, amandes,
raisins secs, quartiers d'oranges ; et enfin,
sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie
verte où il y avait des rochers avec des lacs de
confiture et des bateaux en écales de noisettes,
on voyait un petit Amour,se balançant à une escarpolette
de chocolat, dont les deux poteaux
étaient terminés par deux boutons de rose naturelle,
en guise de boules, au sommet. »
Gustave Flaubert
"Madame Bovary"