Petit message personnel, vers Moscou
Спасибо Татьяна из вашего прохода, видите вы скоро на берегу (диапазон) сразу после холодов! Дружба
Les cousins Lorrin n’appartenaient à aucune époque, aucun siècle n’était fait
pour eux.
Ils étaient hors du temps, hors des temps, intemporels, sous la houlette du
patriarche Louis dont on disait qu'il avait fait de brillantes études; je n'ai
jamais su lesquelles. Jamais il ne travailla.
Louis, à l’âge de vingt-deux ans avait épousé sa cousine germaine,
Catherine, la fille de son oncle maternel, car il n’est pas bon que se
dissolvent les patrimoines dans les familles cauchoises. La meilleure tactique
avait été donc et depuis de nombreuses générations de faire s’épouser entre
eux les cousins et cousines, plutôt germains, pour rapprocher les terres,
pour resserrer les demeures, pour éviter de voir s’éparpiller les biens.
Ainsi donc Louis, et Catherine , ménage exemplaire, se virent à la tête de
nombreuses propriétés, domaines agricoles, vastes demeures bourgeoises,
métairies, entourées de haies de peuples et de hêtres , dignes héritiers des
personnages de Maupassant.
Le lit conjugal servit, et Louis accomplit son devoir d’ensemencement ;
Catherine accoucha en six ans de cinq enfants.
La vaste demeure longeait la rue principale du bourg, six fenêtres aux
barreaux serrés, dont les volets se fermaient dès cinq heures du soir.
Un jardin sur l’arrière, prolongé d’un potager, puis les champs. Point d'amis,
(Louis aimait à proclamer que les seuls amis des enfants sont leurs parents ) point
de fréquentations, hormis l'inévitable curé de la paroisse ,le notaire, et puis,
un vieil évêque , dont on ne savait ce qui avait motivé son arrivée dans ce
coin reculé de Normandie. Il venait une heure pour le thé quotidien
confessait Catherine, écoutait Cécile avec bienveillance, puis repartait
jusqu'au lendemain...
Joseph, le fils aîné, porteur de toutes les espérances paternelles,
fut condamné à réussir son entrée dans la vie militaire.
Surprise, car jusqu’à Joseph, aucun aîné n’avait jamais eu d’autre occupation
que de prolonger la dynastie et gérer le patrimoine.
Joseph entra donc à Saint Cyr. Il disparut en Indochine.
Henri-Pierre, de treize mois son cadet, se révéla un enfant fragile,
étrangement artiste dans ce monde sans art . On le mit très vite en pension
chez les Jésuites, pour lui faire le caractère. Henri-Pierre, nous le
découvrîmes il y a peu dans de la correspondance retrouvée incidemment,
tenta de mettre fin à ses jours à treize ans.
Il se heurta violemment à la volonté paternelle, qui le destinait à la
magistrature.Il ne parlait que Beaux Arts, peinture, aquarelle, sculpture, ce
qui lui valait les foudres et les lazzi du père tout puissant .
Catherine se montra absente de l’éducation. Tout revenait à Louis qui
régentait son monde.
Cécile, délicate jeune fille, troisième de la famille, se réfugia très
rapidement dans l’extase et la contemplation du Saint Sacrement. Elle
passait le plus clair de ses journées d’enfant puis de jeune adolescente en
adoration et en prières.
Quand elle annonça sa volonté de rentrer au Carmel, son père se déchaîna.
Elle se devait à ses parents. Seule fille, il n’était pas question qu’elle opte
pour un autre destin que celui de servante, en quelque sorte, bien que le mot
n’ait jamais été prononcé, mais toujours sous entendu. Elle occupa ce poste
jusqu’à sa majorité, servile, et priante et le soir même de ses vingt et un
ans, quitta la maison aux fenêtres grillagées pour rejoindre le Carmel de
Lisieux.
Son père la décréta morte.
On ne prononça plus jamais son prénom.
Cécile disparut de la vie des Lorrin.
Le quatrième, Edouard, portrait du père, tout en rigidité et en autorité,
mena tant bien que mal ses études secondaires à leur terme, puis, élu et
cornaqué par Louis, prit la direction des affaires, ou du moins , de celles que
son père voulut bien lui déléguer. Des peccadilles , qui l’occupaient. Car Louis,
l’âge avançant, ne cédait pas un pouce de ses attributions de patriarche.
Victor était le cinquième : un bien bel enfant.
Quand il eut trois mois, ses parents se rendirent au Havre pour le présenter
à la famille paternelle. Au retour, la voiture quitta la route, Louis ne put
redresser le véhicule qui heurta un arbre ; Victor, des bras de sa mère, fut
éjecté ; on le retrouva dans le fossé.
Depuis ce jour, Victor, la cervelle brouillée, innocent à vie, se métamorphosa
en valet de ses parents qu’il servit, jour après jour.
Quand je rencontrai Victor, il était le chauffeur de papa-maman, tout de
noirs vêtus, col rigide pour le père, chapeau à voilette pour la mère.
Lui, voix hachée,prononciation hésitante, servile et aplati devant la toute
puissance paternelle,me raconta comment il s'était cassé quatre côtes et le
bras droit :
" Victor, il faut couper la branche du pommier qui passe chez le voisin.
J’ai dit oui papa. J'ai dit oui papa ...
Je suis monté dans l’arbre, j’ai scié la branche, Et je suis tombé comme ça,"
fit-il en levant au ciel ses deux grands bras qui touchaient presque le
plafond.
Je voyais sa pomme d’Adam qui montait et descendait.
J’avais à la fois pitié et envie de rire.
Alors papa a pris la brouette, j’avais mal, il m'a dit de m’y asseoir et il m’a
reconduit à la maison. Je crois que ça s’est remis maintenant. Mais j'avais
mal. "
Victor avait bien entendu scié la branche sur laquelle il était assis. On croit
que cela n’arrive que dans les histoires drôles. Non, cela arrive aussi dans les
histoires tragiques de la vie.Jusqu’à la mort de ses parents, Victor fut la
bonne, le chauffeur et le jardinier, puis, le garde malade.
Catherine partit, suivie dans le mois par Louis.
Cécile fut prévenue par Henri-Pierre, qui avait installé une galerie d'art rue
Bonaparte, à Paris et qui vivait avec Fabien depuis plus de vingt- deux ans.
Edouard Lorrin avait pris les rênes de l’héritage, marié à une cousine,
il était déjà quatre fois père et régentait les biens de mains de maître.
Cécile , Mère Marie Raphaëlle, vint, ombre sombre, qui avait obtenu de la
Supérieure l’exceptionnelle permission de sortie.
Elle sourit à Victor, qui ne savait qui elle était. Elle l’entoura de ses bras en
ailes protectrices, et le ramena au Carmel.
Il y finit ses jours comme jardinier, ombre parmi les ombres, entouré de la
première affection de sa vie, serein, calme, dérangé et gentil.